Les huit romans d'Albert Cossery

Les huit romans d’Albert Cossery

A la question : « Pourquoi écrivez-vous ? », Albert Cossery répond : « Pour que quelqu’un qui vient de me lire n’aille pas travailler le lendemain ». L’auteur, comme ses personnages, n’est pas un adepte du stakhanovisme. A 85 ans passés, il vient de publier son huitième et dernier roman. Il n’écrit en effet qu’une ligne par jour. Si par hasard, il écrivait vingt lignes d’affilée, il mettrait plus de deux mois à les corriger. La question principale que se pose Cossery est « Pourquoi travailler quand on peut l’éviter ? ». 

Né en 1913 au Caire, Albert Cossery est un écrivain de langue française. Arrivé à Paris en 1945, il s’est installé dans un hôtel du côté de

Saint-Germain-des-Prés et n’a jamais éprouvé le besoin de s’installer ailleurs. Il voit avec horreur la possession de biens matériels. « Quand vous achetez une voiture, vous devenez esclave, vous vous constituez prisonnier ». Chacun de ses romans a été réédité entre trois et cinq fois. Il a ainsi pu toucher des revenus sans trop renouveler sa production.

Tous ses romans parlent de l’Egypte. Ils mettent en scène des personnages que Cossery a bien connu : démunis, ascètes, dormeurs, gens du peuple, prostituées, mendiants, vagabonds, bref des « en-dehors ». Il nous parle de l’existence, de la paix et de la violence, du hasch, de la nonchalance. Sa révolte est une sorte d’anarchisme individualiste. A la révolution violente, il préfère l’humour et la dérision. Il a une haine profonde pour les nantis, les corrompus et tous les pouvoirs. Il refuse de participer au destin social, il oppose au monde actuel une résistance passive.

Les hommes oubliés de Dieu (1941). Ce recueil de nouvelles est une description émouvante des quartiers pauvres du Caire. Les principaux thèmes de Cossery sont déjà là : le sommeil, la critique de l’appareil répressif, la consommation de hasch et la dérision. Un gendarme personnifie la méchanceté la plus haïssable, celle mise au service des puissants. Une grève de balayeurs sera durement réprimée.

La maison de la mort certaine (1944). Une maison délabrée menace de s’écrouler. Ses locataires (un vieillard en guenilles, un menuisier qui crève de faim, un chanteur de café sordide, un montreur de singe), tous illettrés décident d’écrire une lettre au gouvernement. Ils font appel à un chauffeur de tram qui commence sa lettre par : « Cher gouvernement ». Mais où envoyer cette lettre ? « Le gouvernement n’a pas d’adresse. personne ne sait où il habite et personne ne l’a jamais vu ». La solution n’est-elle pas de vivre dans la rue : « Les rues sont faites pour tout le monde. Personne ne vous demandera de loyer ».

Les fainéants dans la vallée fertile (1948). Dans une maison bourgeoise, la principale activité de tous les membres de la famille est le sommeil. Cossery s’est inspiré de sa propre famille qui vivait de rentes et n’exerçait aucune activité. Le plus jeune fils décide de sortir de la maison et de travailler. « Je veux travailler. Comment pourrons-nous ne pas être malheureux si nous savons que tu travailles ? ». Le sommeil est la manière qu’ont trouvée les personnages pour fuir le monde.

Mendiants et orgueilleux (1955). Un prof a décidé de devenir mendiant quand il a compris qu’il n’enseignait que des mensonges. « Comment pouvait-on mentir au sujet de la géographie. Eh bien, ils étaient parvenus à dénaturer l’harmonie du globe terrestre en y traçant des frontières tellement fantastiques qu’elles changeaient d’une année à l’autre ». Face à l’imposture générale, les mendiants se contentent d’un peu de pain et de hasch. Un flic chargé d’une enquête dans leur milieu va démissionner et devenir également mendiant. « Il n’y avait plus en lui qu’une infinie lassitude, un immense besoin de paix, simplement de paix ».

La violence et la dérision (1964). Plutôt que d’utiliser la violence contre le gouverneur d’une cité, rien de mieux que la dérision. Des marginaux décident de lancer une souscription en vue de lui ériger une statue. Des tracts à sa gloire sont diffusés. Dans une scène fameuse, un gendarme va s’acharner à tabasser un mendiant qui n’est en réalité qu’un pantin.

Un complot de saltimbanques (1975). Dans une petite ville, le chef de la police croit en l’existence d’un complot. Les pseudo-comploteurs ne cherchent en réalité qu’à s’amuser et à draguer et non pas à changer un monde qui les indiffère. L’un deux a passé plusieurs années à l’étranger et en est revenu avec un faux diplôme. Pour ses amis, les voyages ne servent à rien. Quant à la police, elle n’est là que pour apporter des emmerdements.

Une ambition dans le désert (1984). L’action se passe dans un émirat imaginaire du golfe Persique. L’absence de pétrole lui permet de vivre en paix. La richesse attire les chacals du monde capitaliste. Dans les pays voisins, le désert et le mode de vie traditionnel ont disparu : des routes, des camions, des avions et des frontières ont fait tout disparaître.

Les couleurs de l’infamie (1999). L’action se passe dans Le Caire d’aujourd’hui et met en scène deux pickpockets et un intellectuel. Un promoteur immobilier se fait voler une lettre révélant un scandale politico-financier. Dilemme : faut-il faire chanter le promoteur ou le mépriser ?

Tous les romans d’Albert Cossery sont édités chez Joëlle Losfeld. La maison de la mort certaine, Les fainéants dans la vallée fertile, Mendiants et orgueilleux et Un complot de saltimbanques viennent d’être republiés dans une collection de poche (50 F le volume). Vient de paraître : Les couleurs de l’infamie (85 F). Il existe également un livre d’entretiens : Conversation avec Albert Cossery par Michel Mitrani (1995).