Ramon Acin (1888-1936): Une esthétique anarchiste et d’avant-garde

Ramon Acin (1888-1936): Une esthétique anarchiste et d’avant-garde  

Les éditions Virus de Barcelone publient dans leur collection Memoria des textes très intéressants qui restent malheureusement inédits en français, sans doute faute de traducteurs et d’éditeurs. Antonio Telléz a publié 3 livres sur le Réseau d’évasion du Groupe Ponzán, l’attentat aérien contre Franco et le MIL et Puig Antich. Le livre d’Ingrid Strobl est consacré aux femmes combattantes en Espagne puis dans la Résistance française. En collaboration avec le CIRA de Lausanne, des textes du pédagogue libertaire Híginio Noja Ruiz ont pu être retrouvés. Enfin Sonya Torres Planells a publié en 1998 un ouvrage consacré à Ramón Acín. L’auteur fait partie du Groupe de recherches sur la théorie de l’art à Barcelone, elle a également écrit plusieurs articles dans la revue libertaire culturelle Orto

Ramón Acín est un personnage très attachant aux multiples facettes. Il fut un actif militant anarcho-syndicaliste, un pédagogue libertaire, un écrivain et un artiste d’avant-garde. 

L’ANARCHISTE

Né en 1888 à Huesca en Aragon, dès 1913 il participe à Barcelone à la création de la revue La Ira. Son sous-titre était : «organe d’expression du dégoût et de la colère du peuple».

Il collaborera à de nombreuses revues anarchistes en Aragon et en Catalogne : Floreal, El Talión, Cultura y acción, Lucha social, Solidaridad obrera… Il participe aux divers congrès de la CNT où il représente la ville de Huesca. Sa popularité y était telle qu’il aurait pu facilement devenir maire mais ses convictions anarchistes l’éloignèrent de cette idée. Ses écrits l’enverront à plusieurs reprises en prison. Sa participation à des soulèvements le contraignent à l’exil à Paris en 1926 et 1931. En 1936, les autorités de Huesca refusant d’armer le peuple, l’armée et la garde civile prennent facilement le pouvoir. La répression est terrible : parmi les nombreux fusillés se trouvent Ramón Acín et sa femme Conchita Monrás. 

LE PEDAGOGUE

En 1916, il est nommé professeur de dessin à l’Ecole normale de Huesca. Non-violent, il pense que l’éducation est la principale arme de la révolution sociale. Partisan de l’éducation rationaliste, il est un admirateur de Francisco Ferrer et de Joaquín Costa. Avec sa femme, il se charge de l’éducation de ses deux filles Katia et Sol. Il organise des cours du soir pour les ouvriers et en 1922, il crée une académie privée de dessin à son domicile où il peut mettre en application une pédagogie libertaire. En 1932, il organise avec Herminio Almendros le premier Congrès de la technique de l’imprimerie à l’école où sont présentées les réalisations de Célestin Freinet. Un deuxième congrès sera organisé en 1935. 

L’ECRIVAIN

Ramón Acín a écrit plus d’une centaine d’articles aussi bien dans la presse libertaire que dans la presse régionale (El Diario de Huesca notamment). On y trouve des critiques idéologiques, des textes autobiographiques, des critiques d’art et des hommages rendus à des personnages illustres ou à des amis. Il est à remarquer son intérêt pour l’écologie (articles sur le reboisement), la défense animale (textes contre la tauromachie), le végétarisme et le naturisme. Il anime également des conférences sur des sujets aussi variés que les enfants russes, les employés de commerce, l’anti-électoralisme ou l’écrivain Ramón Gomez de la Serna. 

L’ARTISTE

L’oeuvre artistique de Ramón Acín est très variée. Il a publié plus de 80 dessins et caricatures contre la guerre, l’Eglise, la corrida… En 1913, l’obtention d’une bourse lui permet de voyager et de faire de grandes peintures à l’huile (par exemple une Vue de Grenade depuis le Generalife). A Paris, il a été en contact avec les artistes d’avant-garde. Il est ami avec Picasso, Dali et Buñuel. Il publie plusieurs manifestes artistiques. En 1928, son manifeste sur Goya s’oppose aux commémorations officielles. Sculpteur, il réalise le monument des Pajaritas (cocottes en papier) qui est aujourd’hui l’un des symboles de la ville de Huesca. Il expose à Madrid en 1931 des sculptures en plaques de métal découpées qui connaissent un grand succès (La Danseuse, Le Garroté). Influencé par le surréalisme, il réalise plusieurs collages. Lauréat d’un gros lot à la loterie, il va produire le film de Buñuel Terre sans pain et voyage pour cela avec lui à Las Hurdes en Estrémadure. Enfin, il s’intéresse aux arts et traditions populaires : il collecte des objets anciens en vue de l’ouverture d’un musée. 

Felip Equy