Freinet et le P.C. [partie 1]
De la réflexion à l’adhésion :
On sait peu de choses sur les motivations qui ont conduit Célestin FREINET à adhérer au Parti Communiste. Bien sûr on peut penser que, comme pour beaucoup de jeunes enseignants, profondément marqués dans leur chair et leur conscience par l’horreur de la boucherie de la guerre 14-18, la jeune Révolution bolchévique de 1917 a constitué un formidable pôle d’attraction politique. De plus la bourgeoisie et le capitalisme ont conduit l’Europe à une gigantesque hécatombe, et les valeurs civilisatrices de progrès et de justice qu’elles pouvaient encore représenter sont désormais rejetées par bon nombre de ceux et celles qui ont vécu et survécu à cette horreur. Et l’école elle-même, qui a largement contribué de 1871 à 1914 à la préparation d’une politique revancharde et nationaliste du « Nous reprendrons l’Alsace et la Lorraine », apparaît aux yeux de beaucoup comme devant subir une transformation radicale. Pacifisme et internationalisme sont les nouvelles valeurs incarnant l’idée de changement et de progrès dans cette Europe exsangue qui de plus a désormais perdu le leadership de l’économie mondiale. Les années 20 sont marquées par une formidable implosion des valeurs traditionnelles : famille, patrie et travail, assortie de la lutte contre ses habituels défenseurs que sont l’État, l’Église et l’Armée. Nombreux sont ceux qui refusent désormais le « bourrage de crânes » et qui ont pris conscience du potentiel de leur force solidaire et « prolétarienne », face aux possédants et exploiteurs, et souhaitent parfois confusément parvenir à un monde nouveau à l’image (peut-être) de celui qui vient de naître en Russie.
Syndicalisme et politique, mais aussi culture, sont traversés par tous les courants d’une pensée radicale et révolutionnaire, portée par des éléments d’une jeunesse qui a subi de plein fouet l’atrocité de la guerre et qui a maintenant soif de prendre sa revanche sur l’histoire.
Gravement blessé par balle au poumon en 1917, à 21 ans, au Chemin des Dames, et après avoir suivi une longue convalescence (invalidité de 70 %), FREINET fait son entrée dans la vie active en 1920 comme instituteur au Bar-sur-Loup dans les Alpes Maritimes.
Fils de paysans modestes de Gars, il a indéniablement conscience d’appartenir à la classe des prolétaires, de ces travailleurs paysans et ouvriers qui créent la richesse et subissent les conditions de l’exploitation capitaliste. Il croit fermement à la solidarité et à l’action collective, et surtout à la nécessité de se regrouper dans des associations, qu’elles soient des syndicats ou des coopératives. Ainsi il sera à l’origine de l’électrification de son village natal, et participera comme trésorier à l’animation de la Coopérative de consommation villageoise l’Abeille baroise. Il créera ensuite la Coopérative d’Entr’aide Pédagogique, et puis encore la Coopérative de l’Enseignement Laïc (C.E.L.) en 1928 avec des instituteurs girondins. Sans oublier qu’avec d’autres pionniers du Mouvement (JUTIER, LAUROUA, BOUCHARD, MORMICHE…) par un appel lancé dès 1931 dans sa revue L’Imprimerie à l’École il sera à l’origine de la création de la Mutuelle d’assurance automobile des instituteurs de France, la M.A.A.I.F. en 1934… Syndicats, coopératives, mutuelles, relèvent d’une conception socialiste de la société, plutôt proudhonienne que marxiste, plutôt autogestionnaire qu’étatiste et centralisée. Concernant son engagement, il est certain que c’est d’abord vers l’action syndicale que se tourne FREINET. Ainsi il participe à des Congrès syndicaux et rejoint la Fédération de l’Enseignement (Unitaire) de la CGTU issue de la scission syndicale de la CGT de 1921. Il écrit dans la revue l’École Emancipée quelques articles dans la partie « vie pédagogique », plus quelques comptes rendus de lecture. Il y rend compte aussi des congrès pédagogiques internationaux auxquels très tôt il va participer, ainsi que des visites qu’il fait à l’étranger, comme en 1922 dans des écoles libertaires de Hambourg. Il lit énormément de revues françaises et étrangères auxquelles il est abonné (dont plusieurs en espéranto venant de l’Europe de l’Est) ainsi que des ouvrages spécialisés en pédagogie. Ainsi il lit la revue communisante d’avant-garde Clarté [1] dont le directeur est Henri BARBUSSE, qu’il admire beaucoup pour son roman Le feu qui décrivait la réalité des tranchées. Dès 1923 il y écrit une série d’articles intitulés « vers l’école du prolétariat ». Également la revue libertaire Les Humbles [2] de Maurice WULLENS. C’est d’ailleurs avec celui-ci qu’il va se rendre en Russie pendant l’été 1925, faisant partie de la première délégation officielle d’enseignants européens invités en URSS pour un Voyage d’études en Russie par le Syndicat pan-russe des Travailleurs de l’Enseignement. Plusieurs comptes rendus de ce voyage paraîtront, dans l’École Émancipée en 1925-1926, dont celui de FREINET sous le titre de « mes impressions de pédagogue en Russie soviétique », puis dans les Humbles en 1927 intitulé « Un mois avec les enfants russes », illustré par des bois gravés d’Élise LAGIER-BRUNO [3].
Le récit de Maurice WULLENS : Paris-Moscou-Tiflis est beaucoup plus complet, plus politique aussi, et nous livre des anecdotes sur ses compagnons de voyage, dont certains comme FREINET et le Belge VAN DE MOORTEL ont tendance à s’écarter délibérément des chemins balisés d’une visite officielle guidée et encadrée, et découvrir par eux-mêmes les réalités de ce pays. Il ne faut cependant pas s’imaginer un seul instant que la vision de « Célestin au pays des soviets » a quelque similitude avec la bande dessinée de HERGÉ Tintin au pays des soviets qui paraît peu après, en 1929 ! Paradoxalement, c’est le libertaire Maurice WULLENS qui revient de ce séjour bien plus enthousiaste que FREINET [4], qui demeure quant à lui plutôt critique tout en étant très impressionné par la révolution russe et l’immensité de la tâche des éducateurs et l’enthousiasme des jeunes pionniers qu’il a pu observer. Tous deux auront eu la chance, rare à cette époque pour des occidentaux, de faire ce voyage dans la première république socialiste soviétique, un an après la mort de Lénine, et avant que ne tombe sur cet immense pays la chape de plomb du stalinisme.
En mars 1926 FREINET s’est marié avec Élise LAGIER-BRUNO, jeune institutrice des Hautes-Alpes qui s’enthousiasme pour la jeune révolution soviétique. En fin d’année, romantisme révolutionnaire aidant, ils vont adhérer tous deux au Parti Communiste (pas encore « Français », mais « Section Française de l’Internationale Communiste » S.F.I.C.). Cette adhésion, nous en avons eu confirmation par une lettre de ROLLET, alors responsable national de la M.O.R. [5], retrouvée dans les archives de Maurice DOMMANGET :
« J’ai eu des nouvelles des Alpes-Maritimes. La fraction est constituée. GIAUFFRET a posé sa candidature au secrétariat. BAREL [6] a décidé FREINET a poser la sienne. FREINET vient d’adhérer au parti, il a des chances d’être désigné. » Effectivement FREINET sera élu secrétaire des Alpes-Maritimes de la Fédération Unitaire, et c’est en cette qualité qu’il sera délégué au Congrès de Tours en août 1927. C’est un congrès passionnant qui se déroule dans cette période charnière qui voit en Russie, après l’élimination des anarchistes russes, celle de TROTSKY et de l’opposition ouvrière. Partisans et adversaires de l’URSS de Staline s’affrontent à la tribune (même physiquement comme les frères Marcel et Maurice WULLENS), mais vont aussi tous ensemble participer à la grande manifestation unitaire et intersyndicale qui se déroule à Tours pour tenter d’arracher à la mort les militants anarcho-syndicalistes américains SACCO et VANZETTI.
Sébastien FAURE, le vieux militant libertaire, est également présent pour parler de pédagogie et de l’expérience de son école du travail de « La Ruche », à Rambouillet entre 1904 et 1917, avec la réédition de son ouvrage Propos d’Éducateur. Congrès bouillonnant, riche d’idées et de promesses pour ces enseignants, militants révolutionnaires qui ont en commun de vouloir faire bouger les choses, même s’ils se différencient et s’affrontent quant aux méthodes employées et aux objectifs à atteindre. Leur revue L’École Émancipée verra une équipe de rédaction qui comprend des représentants de toutes les tendances de la Fédération, parmi lesquels de nombreux adhérents du Mouvement de « l’Imprimerie à l’école » (Élise et Célestin FREINET, René DANIEL, Maurice WULLENS, Josette et Jean CORNEC…). Ces derniers vont d’ailleurs se retrouver après le Congrès syndical, et en tant que sous-commission pédagogique de la Fédération tiendront leur premier « Congrès des Imprimeurs », où ils décideront des circuits de correspondance et de la répartition des tâches (éditions, matériel d’imprimerie…) pour l’année scolaire 27-28, ainsi que la création dès la rentrée scolaire de 1927 d’une société commerciale appelée « Cinémathèque Coopérative de l’Enseignement Laïc » avec un groupe d’instituteurs girondins animé par Rémy et Odette BOYAU.
Un militant exemplaire :
Après leur adhésion au P.C., Élise et Célestin FREINET sont des militants de base disciplinés, modestes et consciencieux, et s’impliquant peu dans les querelles d’appareil et les exclusions de toutes sortes qui foisonnent de 1926 à 1936. Ce qui ne les empêche certes pas d’être critique, mais avec une grande indulgence pour tout ce qui peut se passer dans « la patrie du socialisme » en marche vers l’édification d’un monde nouveau et vers des avenirs radieux ! De plus la politique « classe contre classe » des années 30 a fait fondre considérablement les effectifs du Parti, et il faut resserrer les rangs… FREINET a trop le souci de sauvegarder l’unité de son jeune Mouvement qu’il sait traversé par tous les courants politiques de l’époque. Et il connaît la présence en son sein d’une écrasante proportion de « libertaires », regroupés par ailleurs dans la « Ligue Syndicaliste », tendance anarcho-syndicaliste minoritaire de la Fédération Unitaire [7].
Maintenir cette dynamique pédagogique qu’il anime, la développer, ne sera pas chose facile, et c’est pourtant ce à quoi il tendra constamment, sans d’ailleurs jamais renier ses propres engagements et options politiques, qu’il défendra le cas échéant avec vigueur et conviction… Colette AUDRY, qui avait vécu intensément cette période, me décrivait (entretien téléphonique du 21/11/1988) que, lors des Congrès annuels de la Fédération Unitaire (et en particulier celui de Marseille en 1930 où devaient s’affronter avec une rare violence les communistes de la M.O.R. contre les partisans de la Majorité Fédérale soutenus par ceux de la Ligue Syndicaliste) FREINET était « quelqu’un de soucieux surtout et avant tout d’assurer la promotion de son Mouvement pédagogique coopératif ! ». Mais tous ces militants sont engagés dans une lutte contre le capitalisme et la société bourgeoise, cléricale et réactionnaire, luttant contre la crise et le chômage des années 30. Et c’est ce qui fait, en dépit de leurs divisions, leur force et leur solidarité nécessaire. Il faut aussi savoir que bon nombre d’entre eux changeaient dans leur engagement politique, passant (souvent après exclusion) du Parti Communiste à la Ligue Communiste (trotskyste) comme Pierre NAVILLE, ou au Mouvement Libertaire comme Jean BARRUÉ et Raoul FAURE, ou à la S.F.I.O. (pivertiste) comme Michel COLLINET et Daniel GUÉRIN. Ou bien ils gardaient leurs convictions premières, ou encore n’adhéraient jamais à aucun parti, mais restaient « syndicalistes d’abord » ! Ainsi, lors d’une Semaine de l’École Émancipéeen 1969, Pierre VAQUEZ, instituteur retraité de l’Oise, confessait avec son humour particulier, que « lui aussi avait été, dans les années 20, touché par un microbe : le “stalinokoch” ! »… avant de se faire rapidement exclure du P.C., comme tant d’autres esprits rebelles à la philosophie et aux réalisations du « communisme de caserne ».
Lors de « l’affaire Freinet » de St-Paul de Vence en 1933, qui voit la droite et l’extrême-droite maurassienne locale, puis nationale, s’en prendre violemment à « l’instituteur communiste FREINET »… le Parti prend sa défense, avec le député Gabriel PÉRI qui intervient à la chambre des députés, puis en audience auprès de DE MONZIE, le ministre de l’Éducation Nationale de l’époque (entretien relaté dans sa revue « Les Humbles » par Maurice WULLENS, présent à la rencontre). Des pétitions, surtout lancées par les organisations syndicales, recueillent des milliers de signatures pour la défense de FREINET. Quelques articles dans l’Humanité le soutiennent également… mais aussi dans le journal de gauche socialisant L’Oeuvre. Avec quelques intellectuels et artistes.
Dans cette période de chômage et de soupes populaires du début des années 30, qui voit la montée de tous les dangers se profiler en Europe et dans le monde, FREINET n’a de cesse à partir de 1934 de lancer les appels les plus larges à l’unité pour lutter contre la réaction, la guerre, le fascisme et le cléricalisme [8]. Aucune exclusive envers tel parti ou tel syndicat n’est jamais lancée, et en 1935 c’est la constitution du « Front populaire de l’Enfance », puis de la « Ligue populaire des parents ».
Si FREINET définit la C.E.L. comme un « groupement d’instituteurs de toutes tendances », il n’en demeure pas moins qu’il affirme clairement ses propres options, en faisant adopter par le Congrès de l’Internationale des Travailleurs de l’Enseignement (I.T.E., d’obédience communiste) la constitution du Front Populaire de l’Enfance.
En 1936, au moment des procès de Moscou où l’on voit de vieux dirigeants bolcheviques être accusés des pires crimes par STALINE, et alors que l’on connaît l’existence des goulags comme l’embrigadement de la jeunesse par les témoignages irréfutables comme ceux de Victor SERGE, Maurice WULLENS interpelle FREINET sur le soutien qu’il apporte délibérément au régime dictatorial stalinien, avec les références qu’il fait constamment à l’URSS. Cette controverse paraît dans la revue du Mouvement L’Éducateur prolétarien, et va susciter des débats passionnants. FREINET justifie sa position en arguant qu’il défend d’abord la grande révolution soviétique et surtout le peuple russe, et que les difficultés en matière d’éducation de masse rencontrées par le régime sont immenses, mais que des progrès formidables ont déjà été réalisés, et qu’il n’a pas à donner de leçons aux acteurs du socialisme en marche…
Lorsque son ami Raoul FAURE, instituteur dans l’Isère, exclu du P.C. dès 1928 et revendiquant sans faillir son Communisme Libertaire, accueille et héberge clandestinement chez lui en 1938 le proscrit Léon TROTSKY, « le Vieux » comme l’appellent familièrement et affectueusement les révolutionnaires (Comme chef de l’armée rouge il fut aussi le liquidateur des opposants révolutionnaires anarchistes à la dictature bolchévique en 1921 à Kronstadt, et de la révolution makhnoviste ukrainienne en 1922 !), FREINET n’en fait aucun reproche à FAURE. Il ignore bien sûr, comme beaucoup d’autres, que STALINE a déjà lancé des assassins aux trousses de TROTSKY pour l’éliminer physiquement.
A l’avènement du Front populaire l’engagement de FREINET se fait dans de nombreux domaines. Il est candidat (pas élu bien sûr) du P.C. aux élections cantonales à St-Auban, dans les Alpes Maritimes, canton où se trouve son village natal de Gars. Son soutien auprès des républicains espagnols pendant la guerre civile est sans faille, et son école de Vence accueille de nombreux enfants réfugiés.
La généralité de Barcelone, à la demande des adhérents de la « coopérative espagnole de l’imprimerie à l’école », ouvre en 1937 une « École Freinet », sur les hauteurs du Tibidabo, dans une superbe propriété nobiliaire réquisitionnée pour la circonstance.
La période des doutes :
Mais en 1939, FREINET ne peut admettre les accords du « pacte germano-soviétique » conclus le 23 août entre l’Allemagne hitlérienne et l’URSS. Comme beaucoup d’autres militants communistes qui se sont engagés aux côtés des républicains espagnols qui reçoivent aussi l’aide de l’URSS, luttant contre les nationalistes franquistes soutenus par HITLER et MUSSOLINI, il est pour le moins perplexe face à ce virage incompréhensible de la politique soviétique, qui va entraîner la dissolution du P.C. en France et l’interdiction de ses publications. Politique que soutient (comme toujours !) le Parti de THOREZ en approuvant ce pacte le 26 septembre. Il exprime son désaccord lors de réunions au sein du P.C. désormais devenu clandestin, mais ne le fera jamais savoir publiquement, et il reste toutefois fidèle à son engagement. Militant discipliné et exemplaire, comme beaucoup d’autres à cette époque… Toutes les critiques qu’il formule à l’encontre de cette politique d’alliance contre nature ne le feront pas particulièrement bien voir de la direction de son parti, qui s’en souviendra… le moment venu, plus tard ! Le 20 mars 1940 (jour même de la démission du gouvernement de DALADIER) FREINET est arrêté par la police, sur ordre du gouvernement. Avec beaucoup d’autres militants suspectés de pacifisme, de militantisme communiste [9], de syndicalisme révolutionnaire, il séjourne dans plusieurs camps d’internement, d’abord sous la coupe du gouvernement légal de REYNAUD, puis du gouvernement de collaboration de Vichy après juin 40. Il y reste pendant 19 mois, jusqu’au 29 octobre 1941. De nombreuses personnalités, tant en France qu’à l’étranger (comme l’éducateur FERRIÈRE de Suisse) sont alors intervenues en sa faveur auprès des autorités de Vichy et de PÉTAIN en personne pour tenter d’obtenir sa libération, d’autant plus que son état de santé est devenu très inquiétant à cause des privations endurées dans ces camps.
A Alger en 1943, et plus tard à la Libération, vont commencer déjà à circuler des rumeurs, totalement injustifiées, propagées par certains membres du Parti comme quoi FREINET se serait compromis avec le régime de Vichy pour obtenir sa libération, voire même qu’il se serait rendu en Allemagne nazie… On lui reproche aussi les contenus de son livre Conseil aux parents écrit en 1942, et publié en Belgique.
Assigné à résidence à Vallouise dans les Hautes-Alpes et étroitement surveillé par les autorités, ce n’est qu’au printemps 1944 qu’il rejoint le maquis FTPF de Béassac dirigé par son beau-frère LAGIER-BRUNO. Et c’est avec l’étiquette P.C. qu’il devient membre du Comité Départemental de Libération (C.D.L.) du département et qu’il s’occupe des problèmes d’approvisionnement. A Gap il fait réquisitionner le grand séminaire et y installe jusqu’en août 1945 un Centre scolaire qui recueille des enfants orphelins ou abandonnés. Mais il s’occupe d’organiser aussi, sous l’impulsion de la (célèbre) résistante Lucie AUBRAC, d’autres centres scolaires dans le Sud-Est. Et c’est sous cette appellation que son école de Vence, saccagée pendant la guerre, rouvre ses portes à la rentrée scolaire de 1945, accueillant des enfants en majorité victimes de la guerre. Dans l’ambiance survoltée de la Libération, auréolé par son combat indéniable dans la Résistance, mais aussi avec le prestige conféré par la victoire sur le nazisme et les sacrifices de l’armée rouge et de l’URSS, le Parti Communiste (désormais « Français ») contrôle un grand nombre d’organisations, et son influence est notable et grandissante chez bon nombre d’intellectuels, comme dans la population, en majorité ouvrière, qui lui confère alors une forte représentativité électorale, avec 28 % des suffrages. Dans les syndicats, dans la presse, dans l’université, au Centre National des Ecrivains… les communistes épurent à tour de bras. Et il ne fait pas bon s’opposer à cette époque à un ARAGON, à un COGNIOT, à un DUCLOS, ou encore au « fils du peuple » Maurice THOREZ. Le P.C.F. tisse patiemment ses réseaux dans tous les domaines de la vie associative, économique, sociale, culturelle et politique…
Vers les lendemains qui déchantent :
A la Libération, FREINET relance aussitôt les activités de son Mouvement et de la C.E.L. Quelques adhérents ont disparu dans la tourmente, victimes de la barbarie nazie (TORCATIS, BOURGUIGNON, VARENNE – le père du doux poète et chanteur Pierre LOUKI, ami de BRASSENS…). Certains ont été prisonniers de guerre ou déportés en Allemagne, d’autres ont participé à la Résistance, et quelques uns parmi les plus anciens ont observé une attitude de pacifisme intégral pendant le conflit. FREINET pense alors que, dans cette période de reconstruction et afin de transformer efficacement l’école, le Mouvement qu’il anime doit s’orienter vers une organisation populaire de masse associant tous les mouvements d’éducation, ainsi que les syndicats enseignants. Il prend donc l’initiative en 1945 de la création d’une « Union Pédagogique » avec l’accord d’Henri WALLON, professeur au Collège de France, et président de la commission d’études pour la réforme de l’Enseignement, dite « Commission Langevin-Wallon » (à laquelle FREINET a collaboré dès 1939). Henri WALLON en assure la présidence comme représentant du Groupe Français d’Education Nouvelle (G.F.E.N.), et FREINET la vice-présidence comme représentant de la C.E.L.
FREINET a participé dans l’entre-deux-guerres à l’animation du G.F.E.N. et, comme WALLON est également membre du Parti, il n’a aucune crainte en incitant ses camarades de la C.E.L. à adhérer au G.F.E.N., et même à créer des groupes départementaux d’éducation nouvelle, là où ils n’existent pas. Mais très rapidement, début 46, il comprend que le G.F.E.N. est phagocyté par des universitaires et des inspecteurs de l’éducation nationale – de surcroît staliniens orthodoxes – et que le fonctionnement du G.F.E.N. n’a rien de démocratique, et qu’il en sera rapidement écarté comme ses camarades, simples instituteurs de la base… Aussi décide-t-il de rompre et de structurer son propre Mouvement en Institut Coopératif de l’Ecole Moderne, avec un fonctionnement horizontal décentralisé dans chaque département, et séparé en principe du fonctionnement de l’entreprise commerciale de la C.E.L. dont le siège est désormais installé à Cannes. Les statuts de l’I.C.E.M. ne seront officiellement déposés que l’année suivante en 1947, après accord du Congrès de Dijon. Quant à l’Union Pédagogique, elle ne résiste pas très longtemps à la turbulence politique et syndicale qui s’abat sur le monde, et donc sur la France, à partir de 1947.
Pourquoi cette appellation « Ecole Moderne » ? En effet c’est celle toujours existante du Mouvement espagnol de Francisco FERRER de « la Escuela Moderna » (née en 1901 et dont le siège est alors à Calgary au Canada, animé par des républicains anarchistes réfugiés). FREINET n’a pas voulu reprendre une appellation « Ecole, ou Education Nouvelle », par opposition et justement pour se démarquer du G.F.E.N. Et l’aspect international de sa pédagogie comme de son Mouvement lui répugne à employer le qualificatif de « français ». Il semble bien que ce sont des pionniers du Mouvement, les ALZIARY, BOYAU, DANIEL, FAURE, MORMICHE, et autres libertaires… qui lui ont suggéré cette proposition, après s’être assurés d’un accord de principe auprès des anarchistes espagnols, dont ceux du Mouvement Freinet exilés au Mexique : Patricio REDONDO et José DE TAPIA.
La rupture : Déjà à Alger, en 1943, des bruits colportés par des communistes, dont Étienne FAJON, accusaient FREINET de collaboration avec l’Allemagne. Et FREINET, dès février 1945, prévient ses camarades dans L’Éducateur contre ces accusations calomnieuses, sans toutefois préciser quels en sont les auteurs. Il écrit au Secrétariat du P.C.F. et demande des explications, et il lui sera répondu le 25 juin 1945, sous la plume de Léon MAUVAIS : « Le COMITÉ CENTRAL du PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS, ayant pris connaissance du rapport de la Commission Centrale de Contrôle Politique, a décidé que : pour le cas de FREINET, Instituteur, Représentant le Parti au C.D.L. des Hautes Alpes, La C.C.C.P. (sic !) n’a pas à laver FREINET de calomnies qui pour elle, n’existent pas. La Région doit faire elle-même le nécessaire si elle le juge utile. » Malgré cette réponse claire, rumeur et bruits continuent de se propager, surtout à partir de 1947, où le P.C.F. commence à connaître des difficultés, et durcit ses positions et sa politique. En effet c’est la période où le Parti entre dans une stagnation certaine, et où les ministres communistes sont exclus du gouvernement.
En 1947 on assiste à un tournant car le monde devient bipolaire et, après le « coup de Prague » en 1948, le monde occidental prend brutalement conscience « qu’un rideau de fer s’est abattu sur l’Europe ». C’est le début de « la guerre froide » qui va voir se déchaîner les passions. Des témoignages sur la réalité du régime de dictature stalinienne commencent à paraître, comme le célèbre J’ai choisi la liberté ! de KRAVCHENKO. Et quelques intellectuels résistants comme David ROUSSET ont le courage de dénoncer les camps de concentration installés dans le « paradis communiste ».
Le P.C.F. réagit en radicalisant ses positions doctrinales, et en lançant des offensives et des grèves insurrectionnelles. L’unité syndicale dominée par les communistes à la C.G.T. se défait avec la création en 1948 de Force Ouvrière (d’ailleurs largement subventionnée par la C.I.A. et les syndicats américains). Les enseignants sauront sauvegarder leur unité et créent la Fédération de l’Education Nationale (F.E.N.) autonome, en adoptant la motion « BONNISSEL-VALIÈRE » proposée conjointement par un syndicaliste socialiste et par un syndicaliste révolutionnaire de l’École Émancipée. Face aux attaques dont ils font l’objet de la part du G.F.E.N., satellite du P.C.F., que la naissance puis le succès de l’I.C.E.M. prive de ses militants enseignants les plus actifs, et lassé de constater que le Parti ne les soutient nullement dans leur entreprise de changement en profondeur de l’école, FREINET et sa femme Élise annoncent fin 48 à la cellule où ils militent qu’ils suspendent leur adhésion, du moins jusqu’à ce que le Parti leur fournisse une explication claire sur les raisons d’une attitude aussi hostile.
Or c’est la période où se termine à Saint-Jeannet, près de Vence, et aux studios de la Victorine à Nice, le tournage du film L’École Buissonnière, d’après un scénario d’Élise FREINET, que réalise Jean-Paul (DREYFUS) LE CHANOIS [10], militant communiste bien connu, et que produit la Coopérative Générale du Cinéma Français (C.G.C.F.) largement contrôlée par la P.C.F. Production et réalisation sont donc entre les mêmes mains… On peut penser que c’est donc sur ordre du Parti que LE CHANOIS va refuser de respecter les clauses formelles du contrat, en supprimant du générique le nom de FREINET, ce qui signifie le refus de faire ainsi une publicité à celui qui concurrence les organisations du parti, et qui de plus vient de prendre ses distances avec lui. D’ailleurs, à sa sortie en avril 1949, tous les communiqués de presse prennent bien soin de ne jamais citer ni FREINET, ni la C.E.L., ni l’I.C.E.M., parlant toujours de film à la gloire de « l’éducation nouvelle » ! Et FREINET porte plainte contre la C.G.C.F., pour non respect du contrat, trois jours avant la première projection en public du film, afin d’en obtenir la saisie provisoire. Finalement le procès n’aura pas lieu, FREINET ne voulant pas compromettre la sortie du film, mais peut-être est-ce à ce moment là qu’il a pu arracher, en conciliation, que soit ajouté un carton à la fin du générique : « Matériel scolaire et documents de l’Institut Coopératif de l’école moderne. Techniques Freinet – Cannes ». Pour que le générique soit complet il demande que soit ajouté : « Ce film est dédié à : Mme Montessori (Italie), Pestalozzi (Suisse), Ferrière (Suisse), Bakulé (Tchécoslovaquie), Decroly (Belgique), Freinet (France) ». La C.G.C.A. refuse, mais sera condamnée en première instance, en juin 1951, à verser des dommages et intérêts et à modifier le générique, jugement confirmé en appel en mai 1952. Présenté à Pâques 1949 au congrès I.C.E.M. à Angers, le film connaît un véritable triomphe auprès des adhérents. Mais à ce même congrès aussi, des militants staliniens au Mouvement continuent toujours de distiller leurs accusations calomnieuses contre le comportement et les écrits qu’aurait tenus FREINET pendant la guerre.
A son retour à Vence, FREINET s’adresse aux responsables du Parti des Alpes-Maritimes et les somme, sous huitaine, d’apporter une preuve quelconque sur sa supposée trahison, faute de quoi il rompra définitivement. Il demande à être confronté avec ses accusateurs, qu’il prend la peine de nommer : FAJON, DELANOUE, et ÉNARD surtout qui l’accuse d’avoir rendu hommage à Pétain en 1942 dans le livre Conseils aux parents. FREINET propose de s’en remettre à l’arbitrage de THOREZ lui-même.
Pour faire reconnaître la vérité sur le film il organise une riposte militante, avec un article qui paraît dans la revue L’Éducateur du 1/06/49, et dont le titre est suffisamment explicite : « Dévoilons et combattons l’organisation du silence sur notre oeuvre dans la propagande pour l’Ecole Buissonnière ».
En Mai 1949, est publié l’ouvrage d’Élise FREINET Naissance d’une pédagogie populaire, qui relate en détail, et avec force documents à l’appui, les vingt années des débuts du Mouvement Freinet et de la C.E.L. jusqu’à la Libération. Les références à l’engagement des FREINET au Parti y sont totalement absentes, comme d’ailleurs tous les autres formes d’engagement politique… alors que le militantisme syndical dans les luttes y est constamment évoqué. Élise a essentiellement voulu privilégier l’aspect pédagogique dans sa relation des événements, et montrer le compagnonnage d’idées d’enseignants engagés dans une dynamique révolutionnaire de changement de l’école et de la pédagogie, et qui ont su aussi se doter coopérativement des moyens pragmatiques et concrets du matérialisme scolaire, sans le secours de la hiérarchie et surtout sans le recours au « centralisme démocratique » ! Ce livre connaît un grand succès, surtout chez de jeunes instituteurs(trices), et participe activement, avec la sortie du film l’École Buissonnière, à un renforcement important des effectifs militants des Groupes départementaux de l’ICEM et bien sûr des activités de l’entreprise commerciale pédagogique qu’est la C.E.L. Le P.C.F. ne peut que constater cet état de fait, alors que le mouvement pédagogique concurrent du G.F.E.N. qu’il contrôle est bien loin de donner de tels signes de vitalité, notamment dans l’enseignement primaire.
Peut-on parler d’entreprise délibérément concertée et voulue à ce moment par le Parti pour déstabiliser FREINET et son Mouvement ? On est fortement en droit de le penser, surtout que les principaux responsables politiques à l’enseignement que sont les WALLON, COGNIOT, DELANOUE, FAJON, ÉNARD… savent pertinemment que c’est par opposition politique tout autant que pédagogique que FREINET a créé l’I.C.E.M. il y a deux ans à peine face au G.F.E.N., afin de sauvegarder l’autonomie et l’unité de son Mouvement. De plus, en réponse aux accusations fielleuses de collaboration pendant la guerre dont il continue de faire l’objet, il s’est mis en congé du Parti. Et il n’a pas hésité à résister aux moyens de rétorsion que le Parti, par producteur et réalisateur interposés, avait voulu imposer en l’éradiquant du générique de l’École Buissonnière. Après la publication du livre d’Élise FREINET il ne fait plus aucun doute pour les Staliniens que FREINET est un adversaire politique dangereux, un obstacle qu’il faut contrer par tous les moyens. Mais on ne peut procéder avec lui comme avec un quelconque militant de base. On ne peut non plus exclure quelqu’un qui n’est plus membre du Parti, même s’il revendique toujours son appartenance à l’idéologie et aux valeurs communistes de sa jeunesse. FREINET est une personnalité connue, reconnue aussi sur le plan national et international, et des centaines d’instituteurs(trices) se retrouvent avec bonheur dans l’I.C.E.M. et la C.E.L.. Et parmi eux de nombreux militants politiques et syndicalistes communistes qui se satisfont fort bien de leur engagement pédagogique aux côtés de FREINET. Aussi ces intellectuels du Parti décident-ils d’attaquer FREINET sur les fondements mêmes de la théorie et des pratiques pédagogiques de son Mouvement.
Notes
[1] Clarté : D’abord hebdomadaire, et voulant être une Internationale des intellectuels hostiles à la guerre, fondée en 1919 par Henri BARBUSSE et ses amis de l’A.R.A.C. (Association Républicaine des Anciens Combattants) Paul VAILLANT-COUTURIER et Raymond LEFBVRE (qui disparaîtra dans des circonstancesmystérieuses et suspectes au large de Mourmansk l’été 1920, avec les anarcho-syndicalistes LEPETIT et VERGEAT, au retour d’un Congrès mouvementé à Moscou de l’Internationale syndicale). Puis revue mensuelle, favorable à la révolution russe prolétarienne, de novembre 1921 à janvier 1926 (environ 2000 abonnés), animée par Marcel FOURRIER et Jean BERNIER, avec des collaborations comme celles d’André BRETON et Victor SERGE. Ensuite, sous la direction de Pierre NAVILLE, exclu du Parti Communiste en 1926, la revue prendra une orientation trotskyste jusqu’à sa disparition en 1929, remplacée par La lutte des classes. Cette revue fut un réel laboratoire d’idées révolutionnaires, de recherches théoriques et pratiques, de controverses et d’utopies, et son rayonnement fut des plus importants auprès de toute une génération de jeunes intellectuels.
[2] Les Humbles : Revue littéraire (mensuelle) des Primaires, fondée en octobre 1913 par six élèves de l’École Normale d’Instituteurs de Douai, paraît jusqu’à la guerre. Reparution à partir du 1er Mai 1916 jusqu’en 1940 sous la direction de Maurice WULLENS. De nombreux instituteurs(trices) font partie du millier d’abonnés, notamment parmi les adhérents de l’École Émancipée et de l’Imprimerie à l’École. S’y cotoieront des collaborateurs très variés, mais le plus souvent libertaires, avec parfois aussi des écrivains de renom comme Romain ROLLAND, Stefan ZWEIG ou Victor SERGE. De nombreux suppléments seront édités en numéros spéciaux.
[3] Élise LAGIER-BRUNO : Institutrice, marxiste-léniniste enthousiasmée par la révolution russe, elle rencontre FREINET après son voyage en URSS. Ils se marient en 1926. Artiste graveur, elle est lauréate du prix Gustave DORÉ de 1927.
[4] Maurice WULLENS : Co-fondateur puis directeur de la revue Les Humbles, cet instituteur est gravement blessé et mutilé pendant la guerre. Profondément pacifiste, ce libertaire collabore aussi régulièrement à de nombreuses publications, dont La Revue Anarchiste où il y assure la rubrique mensuelle de la « Revue des revues ». Il ne peut donc ignorer les articles qui y paraissent sur la révolution russe, tels que ceux des numéros des années 1922-1923 : « Choses vécues » et « la démocratie et les masses travailleuses dans la Révolution Russe » de VOLINE (qui écrira plus tard « la Révolution inconnue »), ainsi que « la Makhnovstchina » d’ARCHINOV, et le fameux texte sur « l’opposition ouvrière » d’Alexandra KOLLONTAÏ dans le numéro de novembre 1923. Après son voyage en URSS en 1925 il n’adhère pas au Parti, mais reste un défenseur de l’URSS. Ce n’est qu’après l’expulsion de TROTSKY par STALINE qu’il convient de son erreur et de son aveuglement. En 1935, avec André BRETON et le Dr FERDIÈRE, il mène une campagne vigoureuse pour faire libérer du goulag leur ami Victor SERGE, puis en 1936 contre les « procès de Moscou ». Un des tout premiers adhérents de l’Imprimerie à l’École et de son Mouvement, il déclenche en 1936, à propos de l’URSS et du stalinisme, une passionnante controverse avec FREINET, qui est publiée dans l’Éducateur Prolétarien.
[5] M.O.R : ou « Minorité Oppositionnelle Révolutionnaire », tendance minoritaire organisée en fraction par le Parti Communiste pour tenter de prendre le contôle de la Fédération de l’Enseignement Unitaire, une des rares fédérations de la C.G.T.U. qui résistera à l’inféodation au Parti Communiste, malgré les multiples pressions et campagnes d’intimidation exercées au niveau confédéral.
– Lettre à DOMMANGET du 13 décembre 1926 (cf. M. LAUNAY, in Actualité de la Pédagogie Freinet, P. CLANCHÉ et J. TESTANIÈRE – éd. P.U.B. Bordeaux 1989.)
[6] Virgile BAREL : Instituteur des Alpes-Maritimes, à Menton. Un des tout premiers adhérents de « l’Imprimerie à l’école ». Il deviendra député communiste, et sa très longue carrière (doyen de l’Assemblée Nationale) suivra tous les méandres de la politique du P.C. Lors des attaques des Staliniens contre Freinet dans les années 50 il s’abstiendra (courageusement !) de prendre position… pour défendre son « camarade » FREINET, ayant totalement oublié qu’il faisait partie dès 1926 des pionniers du Mouvement Freinet, éditant alors le journal de sa classe Menton gazette.
[7] Une majorité de libertaires furent les premiers adhérents coopérateurs. Outre Maurice Wullens, Alziary, Bordes, Faure, Cornec, Daniel, Mormiche… le groupe girondin fondateur et administrateur de la C.E.L. (Coopérative de l’Enseignement Laïc) adhérait à la Ligue Syndicaliste (confirmé dans un entretien le 8/4/19989 par Jean BARRUÉ, 87 ans, disparu en août 89). A signaler également l’adhésion à la C.E.L. en 1932 de la philosophe Simone WEIL, militante anarcho-syndicaliste.
[8] « Nous vivions dangeureusement une époque dangeureuse… Mais nous ne nous contentions pas de nous défendre, nous attaquions ! » (entretien avec René DANIEL le 17/7/89, 92 ans, disparu le 27/9/93).
[9] Notice individuelle du Cabinet du Préfet des Alpes-Maritimes, concernant les renseignements sur la moralité et la réputation de Célestin FREINET : « FREINET est foncièrement révolutionnaire. Son action politique à Vence et dans notre région a été et est pernicieuse. Il est communiste à tendance anarchiste. Il a une imprimerie et on le soupçonne de tirer des tracts en fraude. Sa présence à Vence constitue un réel danger pour le moral de la population et des troupes stationnées. L’autorité militaire insiste pour qu’il soit interné d’urgence dans un camp de concentration et j’estime indispensable qu’il soit frappé sans délai de cette mesure de rigueur. »
[10] Jean-Paul LE CHANOIS (DREYFUS) : Membre du Groupe Octobre dans les années 30. Fidèle et très actif militant du P.C.F. dans les milieux du cinéma et du théâtre. Il a peut-être déjà entendu parler de FREINET par ses amis Yves ALLÉGRET, Jacques et Pierre PRÉVERT, Marcel DUHAMEL qui participèrent au film documentaire engagé Prix et Profits produit par la C.E.L. en 1932. Mais c’est surtout grâce à son amie Suzanne COINTE qui, avant-guerre, l’avait longuement entretenu avec chaleur de l’école de Vence de FREINET où se trouvait en internat son neveu. Et c’est en souvenir de cette grande résistante (cf. « l’Orchestre Rouge »), arrêtée et décapitée à la hache par les nazis à Berlin, que LE CHANOIS se rendra en 1946 à Vence, y rencontrera les FREINET, et que le projet de L’École Buissonnièreprendra corps. (in Le temps des cerises Jean-Paul LE CHANOIS – entretiens avec Philippe ESNAULT- édition Institut Lumière / Actes Sud 1996).